in cat. “Nonchalance”, Centre Pasquart, Bienne
Ce qu’Hervé Graumann nous a démontré dès 1993 dans son programme informatique Raoul Pictor cherche son style…, c’est probablement une destruction ridicule de l’aura de l’œuvre d’art. Graumann appréhende avec ironie le cliché trivial de l’artiste romantique génial, qui, oscillant entre chevalet, piano et bibliothèque murale, couche ses inspirations sur la toile. Le processus pictural échappe au spectateur devant l’écran, qui regarde au dos du chevalet, jusqu’à ce que l’ordinateur finisse par présenter le résultat comme image originale. Grâce au principe de la création fortuite, le programme ne produit jamais une image identique. Le préjugé qui pèse sur les automates, auxquels on conteste le pouvoir de générer des œuvres originales, se trouve donc sapé par l’artiste. Pour satisfaire à l’aspect d’authenticité, Graumann fait non seulement apparaître la signature de Raoul Pictor, mais aussi la date et le numéro de l’œuvre. Pourtant, il ne parvient pas et ce n’est pas la non plus son but – à rétablir l’aura de l’unicité. Avec sa production quelconque, dont il n’est plus possible d’avoir une vue générale, l’artiste affiche son indifférence à l’égard du principe des tirages limités et du contrôle de la rareté de l’offre, dont on tient compte habituellement dans le cas de gravures originales. Raoul Pictor produit la contradiction. Il simule une graphie manuscrite expressive – sonorisée. Mais loin de refléter une expression individuelle identifiable, le produit généré par le programme restitue l’existence sans âme d’une marionnette, et l’ironie de son créateur, qui assiste à ce jeu avec une joie nonchalante. La création de Raoul Pictor devient la parabole d’un incessant déferlement d’images. Cependant, cette perte d’aura qu’il met en évidence ne saurait nous plonger dans l’affliction. Au contraire, elle nous informe qu’à l’époque de la reproductibilité technique et de la création d’images virtuelles coupées de l’homme, le temps de l’art n’est pas fini. Graumann nous délivre des angoisses de la première heure, que nous ressentions devant le graphique de l’ordinateur, nous croyant désormais contraints de regarder fixement des pixels insipides. (…)
Andreas Meier